« Javais presque oublié la raison de ma présence là-bas. Ta mort remontait seulement à trois jours, mais ma perception du temps se déglinguait. Déjà ton portrait subissait des altérations. Une image me revenait, celle dune langue: bleue, pendante, gonflée. Cette image ne mappartenait pas, jen étais sûr elle ne pouvait pas mappartenir une image orpheline et intruse. Son histoire navait pas de nom. Elle sétait échappée dune mémoire contrefaite et sétait glissée dans ma tête pour semer la panique. Mais je ne lui cédais pas.
« Jai entendu un craquement provenant du plafond. Mme Recker. Je pouvais monter à létage et la tuer. Je pouvais la violer, la dépecer, la manger. Sans une hésitation, M. Recker avait laissé sa femme avec un étranger qui avait tué la sienne. Cela navait rien à voir avec la confiance ou la bonne volonté. Les Recker me traitaient comme un patient, un réfugié, une personne avec des problèmes qui méritait la miséricorde, pourvu que ce dernier ait de quoi la monnayer.
« Assassiner Mme Recker était une idée stupide qui ne prouverait rien sinon leur méprise. Mais ils ne se trompaient pas. Les Recker savaient quel genre de type jétais. Jétais condamné à accepter leur offre, quelle quelle soit, et ça aussi ils le savaient.
« Ce soir-là, en me déshabillant, une enveloppe était tombée de mon pantalon. Cétait ta lettre davant Barcelone, un message de lau-delà. »
Mon Amour,
Trop de pensées sévanouissent dans la vie de tous les jours. Il me faut partir à la chasse aux pensées comme on part à la chasse aux papillons attraper quelques-uns de ces éphémères avant quil ne soit trop tard, les figer avec de lencre.
Avec toi, je suis constamment distraite par des banalités. Quand je me retrouve seule, je me sens terriblement coupable. Lessentiel est comme un serpent: lorsquon croit lavoir dans les mains, on saperçoit quil ne sagit que de la mue: une substance morte. Et puis lessentiel est à nouveau là, sans quon ait rien demandé, quand on rêvasse dans un bus, ou que lon attende quelquun dans un café...