Et ton visage éternel

prisonnier

dans une empreinte oubliée

« J’ai filé en douce et fait du stop jusqu’à Francfort. Je t’ai cherchée dans le quartier chaud et me voici. Avec une proposition. Je voudrais que tu changes de masque une dernière fois. Inverse-le. Ton maquillage de tapineuse est une mascarade, aussi creuse que le masque africain sur le mur du salon à Haupthof. Les masques ne sont pas des représentations, mais des travestissements. Tu es une travestie professionnelle, n’est-ce pas? Le grain de beauté que tu avais dissimulé a émergé en dépit de ta volonté. Peut-être que tu ne t’es aperçue de rien, peut-être que tu t’en fous, mais cela aussi est un signe.

« Depuis cette nuit de décembre, tu habites mes rêves. J’ai besoin de toi. Il me reste de l’argent. Nous pourrions commencer quelque chose, toi et moi. Tu m’as fait entrer dans cette chambre avec une stratégie de pute, mais tu pourrais la quitter sans la moindre corruption, dans un état d’esprit neuf et innocenté. Tu serais ma muse, et moi la tienne. Qu’en dis-tu? »

Vera le regarde longuement, sans un mot. Orlov perçoit une moiteur envahir ses yeux. Des larmes! Elle subit le coup de l’émotion! Il la prend par la main et l’emmène dehors où les premières lueurs de l’aube commencent à poindre. Deux gaillards sont postés sur le trottoir à l’entrée de l’immeuble. Vera s’adresse à eux en tchèque. Raconte-t-elle le travestissement? sa joie? la perspective d’une nouvelle vie?

Orlov est projeté à terre. Des coups se mettent à pleuvoir — dans ses côtes, ses jambes, son dos. Les brutes frappent à n’en plus finir et Vera se joint à eux. Elle enfonce l’aiguille de son talon de chaussure dans le visage, dans un œil... Orlov perd conscience. Très loin il y a le bruit d’un moteur, la sensation d’une chute sur du dur et puis plus rien.

L’homme reprend connaissance sur une autoroute. Son œil gauche refuse de s’ouvrir. Il reconnaît la bretelle de l’A4 et s’efforce de marcher droit sur la bande de sécurité, direction Eisenach.