« Tu parles français?

— Un peu.

— C’est combien?

— Cinquante balles pour baiser, trente pour une pipe.

— Et pour parler? »

Elle fait la grimace, manifestant son dégoût à l’idée de faire la conversation avec un client, mais elle entrebâille toutefois la porte retenue par une chaînette, et Greg Orlov peut dès lors mieux l’observer. Cheveux châtains, petit nez, grain de beauté sur la joue gauche. Aucun doute: c’est elle.

« Même prix.

— Même prix que quoi?

— Que pour baiser. »

C’est lui qui fait la grimace maintenant. Ça la fait sourire. C’est bon signe, signe qu’elle réagit, que ça peut marcher. Derrière les vitrines, les autres filles sont à moitié nues, mais pas elle, presque élégante dans un stretch au teint métallique qui scintille dans la nuit.

« Disons un quart d’heure. »

La pute ferme puis rouvre la porte dans le même mouvement, libérant la chaînette de son verrou. Elle fait suivre Greg Orlov dans un dédale de couloirs et d’escaliers qui exhalent une odeur de semence et de déodorant à deux sous.

Au quatrième étage, dans une chambre minuscule sans fenêtres — le lit occupe quasiment toute la surface — Orlov se débarrasse de sa veste, la dépose sur le lit, prend place côté porte — obligeant la femme à l’enjamber pour s’installer à l’autre extrémité. Celle-ci cale son dos dans l’encoignure et allume une cigarette.

« Tu t’appelles comment?, demande Orlov.

— Vera.

— Tu viens d’où, Vera?

— République tchèque.

— Aucune importance. Ça te dérange si j’éteins? »

Orlov appuie sur l’interrupteur. Vera marmonne quelque chose en tchèque tandis qu’Orlov ferme les yeux — il ferme les yeux mais il voit — il voit d’abord une lueur rouge valser dans la pénombre, des ombres disproportionnées projetées contre un mur, doubles grotesques de silhouettes humaines, puis il voit des ceintures se défaire, des fermetures Eclair glisser, des pantalons tomber à hauteur de genou — non seulement il les voit mais il peut aussi les entendre — il l’aurait juré: l’immeuble lui parle — il entend des verges s’ériger, des pénétrations muettes, des gémissements, il entend le froissement de billets de banque et le cliquetis de pièces de monnaie qu’on abandonne sur des soucoupes, puis plus rien... Le silence, exactement tel qu’Orlov l’invoquait. Il prie pour qu’il les enveloppe dans sa liturgie, pour qu’il ne les lâche plus, mais il sait que cela est illusoire. Alors il rouvre les yeux et dit: