Mourir dans la neige, trop tôt, le visage battu par le vent. Dans la scène du blizzard qui clôt « McCabe & Mrs. Miller », la mise en scène de la mort n’a pas recours à l’effusion d’une tache rouge sur la nappe de blancheur, pas plus qu’au crescendo de la bande-son. La mort est solitude, elle est angoisse, elle est un cri qui s’étouffe avant de produire aucun son.
J’ai voulu voir le classique de Robert Altman après avoir lu le passage suivant dans le blog du musicologue Doug Schulkind:
Charting the music for this period drama, you might think to add a hint of barroom, honky-tonk piano to give it that western flavor; you could toss in some old-timey banjo to capture the turn-of-the-century era; or, you might go for a sweeping brass fanfare, Aaron Copland-style, to emphasize the wide-open space of the American frontier. While you shouldn’t be shocked to learn that Altman sidesteps these clichés, his choice is surprising. Altman taps a source so completely unexpected, so startlingly appropriate, it takes your breath away: the songs of Leonard Cohen!
En effet, tout est à rebours dans cet anti-western. Loin des terres brûlées que favorise le genre, nous sommes dans les neiges des « Rocky Mountains ». La nature est grandiose, mais hostile et écrasante. Des hommes construisent une bourgade à bout de bras. Il paraît que le train passera dans le coin. L’hiver approche. Les hommes veulent baiser; même des putes moches.
Mrs. Miller, la matronne opiomane. McCabe, son associé, un homme d’initiative. Tantôt courageux, tantôt veules, ils sont comme les autres, livrés à la sauvagerie du nouveau monde. Les rapports sont tendus. La tendresse est une esquisse. Chacun avance ses pions dans un monde en devenir, parfois brutalement. Prélude au chant funeste du tueur à gages.
Homo homini lupus est, affirmait Hobbes. L’homme est un loup pour l’homme. Il ne s’agit pas de politique, mais d’hyperréalisme. La caméra, plantée au milieu du décor, filme des plans séquences d’une longueur extrême, impensable aujourd’hui à Hollywood. Une distance focale supérieure à laquelle on est accoutumé permet au réalisateur de composer des tableaux où les sujets articulent comme des marionnettes, prisonniers du drame qui se déroule devant nos yeux.
Pas guère d’Indiens ici, mais des Chinois. Figure historique du Far-West, leitmotiv dans le roman d’Edmund Naughton dont l’adaptation cinématographique est tirée, le Chinois apparaît sous la forme de mineurs dont la valeur monétaire se chiffre au nickel près, d’une catin à laquelle on goûte comme à un fruit exotique, de plaisanteries grossières éructées à son détriment dans le saloon.
Le nouveau monde, c’est aussi l’effort de dompter l’arbitraire, de rationaliser l’exploitation des ressources et des hommes, d’établir un contrepouvoir face au gouvernement et aux entreprises de monopole, mais cet effort est prématuré, voué à l’échec. Dans la seconde moitié du film, la neige a remplacé la pluie. Ce qui en définitive marque le spectateur, ce sont ces sensations physiques conjurées par la magie du cinéma. L’aspect mouillé, sale, triste d’une fresque portant sur les balbutiements de l’Amérique, et l’angoisse de tout homme devant la mort.
Illustration(s): affiche de cinéma