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Mystère d'O

Il n'y a pas que l'ordinateur pour approcher le  réseau, le langage naturel et ses métaphores, eux  aussi, peuvent nous aider à le connaître davantage.

I

Le jargon informatique évolue à une rapidité étonnante, pas moins que les innovations réelles dans le domaine dirait-on.  Des formules et des mots inédits envahissent le vocabulaire de ceux dont l'occupation mêle de quelque façon l'usage du pc. Des légions de glossaires et lexiques spécialisés sont apparus, saluant en passant les manuels et autres modes d'emploi plus classiques. 

Une analyse en profondeur de ces nouvelles ressources linguistiques s'avèrera fort utile pour une meilleure compréhension de l'impact des technologies sur l'individu. Bien-sûr, une recherche de cette nature incombe à l'académie et se fera donc quelque peu attendre. Cependant, un terme spécifique prévaut sur tous les autres et rien ne nous empêche de l'aborder sans quelqu'autre délai. Nous voulons parler de 'netsurfing'. 

II

'Netsurfing' est l'expression utilisée pour désigner une session online. L'image invoquée explicite le flot des opérations d'une connexion au réseau, lui suggérant ainsi une dimension aquatique: on visite  les ressources du réseau comme on glisse sur les vagues de l'océan. 

Les planches auraient été troquées contre des pc, la dextérité des chevilles faisant  place à celles des poignets. Tout comme certains surfers légendaires d'antan, un nombre de hackers particulièrement téméraires sont passés figures de proue dans le patrimoine culturel des télécommunications, revendiquant toujours leur insubmersibilité. 

La métaphore de l'eau est la plus fréquente, la plus adéquate semble-t-il, lorsqu'il s'agit de se référer au réseau. La concentration d'information y est si dense qu'elle en devient comme obscure et insondable, au même titre que les profondeurs maritimes. 

Immense, l'horizon recule au-delà de chaque écran dans un mouvement récursif et circulaire, comme sur les ponts de navires sillonnant  les eaux. C'est que le réseau dissimule un univers véritablement parallèlle: il attire les curieux, accumule les explorations en son sein et surtout produit des mythes, une kabbale. 

Si l'analogie du réseau et de l'océan fait à ce point l'unanimité, c'est bien parce que de nombreux aspects de leurs mythologies respectives se ressemblent. Les récits du cyberspace, avant toute chose, renvoient  aux histoires d'abordage de pirates, de chasse au trésor, de flore et de faune ensevelies où abondent les rencontres insolites... tout un imaginaire collectif, un folklore quasi ancestral qui remonte à la conquête des océans par l'homme. 

Tels des mers infinies et intemporelles, le réseau serait donc une créature amorphe et liquéfiée, régie par le mouvement des astres. Des astres...  car on le dit parfois,  pris dans son ensemble, le réseau fait montre d'une complexité qui dépasserait le seuil de toute gestion scientifique. 

L'absence de structure définie ou hiérarchisée renforce cette impression de cosmicité ou de miraculeux qu'éprouvent quelquefois les surfers, l'intuition que quelque part s'opère une auto-régulation astrologique, l'appréhension de quelque chose d'aussi grandiose et insensée que la marée. 

III

Les faits ou méfaits de la nature sont souvent appréhendés par l'homme avec émerveillement, la technologie provoque un effet enchanteur similaire. Le réseau est pris pour une merveille technologique. Une merveille  n'est jamais uniquement le fruit d'un agencement purement réductible à ses éléments, une merveille relève toujours du mystère. Pensez aux pyramides: les pyramides ne sont pas  de vulgaires amas de pierres. Ou alors songez à nos océans qui ne sont pas simplement de grands aquariums. 

De même, le réseau ne se résume pas à un protocole, des millions de machines  et des terabytes de données. Comme l'océan ou les pyramides,  le réseau aurait  donc  lui aussi un secret enfoui en son fond, une atlantide que rien ni personne ne révélera. 

Car les énigmes sont là pour l'éternité, afin que l'homme  fabule et rêve à sa guise, sinon à quoi bon serviraient-elles? Bien sûr, il ne faudrait pas qu'on perde de vue certaines clés du mystères, les nouvelles communautés issues du cyberspace par exemple, les rapprochements qui s'y opèrent, le surcroît des émotions qui s'en dégagent... 

En cherchant la survalue imparable du réseau, ce quelque chose qui se soustrait à l'addition des machines pour fabriquer un mystère, on pourrait également prêter l'oreille à des gnoses moins positives, mêlant à notre histoire l'obsession assimovienne du point de non-retour des civilisations: cet instant décisif dans l'histoire  où l'homme se soumet à un paradigme technologique qui finira par le supplanter. 

Peu importe les digressions, on en revient toujours à sa planche - matérielle ou théorique -  et à cette  formule incontournable, 'netsurfing'. On l'aura compris, le modem n'est pas le seul outil offrant une perpective sur le réseau; on y surfe allègrement aussi à l'aide d'encyclopédies, de livres de science fiction et des contes de pirates. Qui l'aurait cru? 


© Daniel Szmulewicz, 1996 - 2011

 

 

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