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Crise d’identité au PCC

Avec l’économie de marché, le PCC a peut-être effectué le plus spectaculaire revirement idéologique du siècle. Se renie-t-il pour autant ? Pas aux yeux de ses leaders, invoquant une légitimité à puiser dans les progrès de civilisation, de nature universelle, parmi lesquelles la démocratie et l’économie de marché, entendons socialiste. Non sans malaise.

C’est un vieux rêve devenu réalité : la Chine accédera bientôt au rang de première puissance mondiale. Ce pour quoi Mao s'est échiné en produisant des résultats catastrophiques est en passe de réussir aux dirigeants du même parti, qui sans renoncer à l'autoritarisme, mènent une ligne politique dont le simple énoncé sous leur illustre prédécesseur leur eût valu un procès pour haute trahison. Certes, Deng Xiaoping déclara déjà en 1987 que le marché était une manière non moins légitime de contrôler l’économie que la toute-puissante planification, pratiquée en exclusivité par le régime depuis son ascension au pouvoir. C’est lui également qui exhorta les Chinois à s’enrichir, tablant sur l’émergence d’une élite capable d’entraîner les masses populaires avec elle. Mais il fallut attendre 2004 pour voir l’introduction d’une clause dans la Constitution reconnaissant le droit à la propriété privée, élémentaire dans un système de marché. En mars dernier, à l’occasion de la dernière séance plénière de l’Assemblée nationale populaire, un pas supplémentaire a été franchi avec la ratification de la loi sur la propriété, projet vieux de cinq ans, passée dans sa huitième lecture, toujours éconduit tant il était controversé au sein même du parti. Cette fois, le président Hu Jintao et son premier ministre Wen Jiabao ont répondu sans équivoque aux attentes des classes moyennes, demandant à être rassurées par rapport à leurs nouveaux biens.
Si les lois ont souvent un train de retard sur la réalité, celle-ci n’est pas une exception. La Chine connaît une croissance effrénée, à tel point qu’elle en devient inquiétante. Premièrement, elle est fragile, car dépendante des échanges avec l’étranger, faute de marché intérieur capable d’absorber la production. Ensuite, point crucial, elle est source d’injustices sociales, car basée sur un système d’exploitation de main d’œuvre non qualifiée, démunie, souvent spoliée. Dans les médias nationaux, on relaie d’innombrables drames où les mingong,ces ouvriers-paysans exilés dans les grandes villes, font figure de victimes absolues. Or, la nouvelle loi sur la propriété ne changera pas le sort du monde rural, car les paysans ne possèdent pas la terre qu’ils travaillent, concédée collectivement sous un système de bail renouvelable, c’est-à-dire jusqu’à une confiscation arbitraire par l’état.
Si la critique directe des leaders est encore impensable, on ne lésine pas à épingler les entrepreneurs peu scrupuleux de payer leurs ouvriers, les cadres trempant dans des affaires de corruption, ou à dénoncer l’absence quasi totale de protection sociale pour la majorité des travailleurs. Par crainte d’apparaître complaisant, le régime se défend en suivant une stratégie d’aveu sans bémol, allant jusqu’à communiquer les chiffres de la fronde populaire : 74 000 protestations en 2004. Oui, admet le Premier ministre Wen Jiabao au lendemain des sessions de l’Assemblée, les défis de la Chine moderne sont énormes, les mécanismes de contrôle restent à inventer, avant de se retrancher derrière le nouveau mot d’ordre du parti, la « société harmonieuse ».
Malgré ses accents lyriques, ce leitmotiv ne trompe guère la frange gauchiste du régime, très irrité par le parti pris de favoriser le secteur privé et la nouvelle bourgeoisie. Sans oublier que la bourgeoisie avait été mise au pilori sous Mao pour cause d’esprit contre-révolutionnaire. Ni que la décollectivisation est menée comme une campagne d'enrichissement personnel de certains hauts fonctionnaires. D'où une purge permanente dans les cercles du pouvoir, dont Wen Jiabao et Hu Jintao se sont fait les hérauts.
Les remaniements qui s’annoncent en prévision du XVIIe congrès du parti communiste, en octobre prochain, vont bon train. Zeng Qinghong, rival du secrétaire général Hu Jintao, a réussi à mettre en avant ses hommes, des enfants de cadres de la révolution que l’on désigne collectivement par le « parti des princes », avec Xi Jinping en chef de file, nommé nouveau secrétaire du Comité du Parti de Shanghai. Toutefois, ces personnalités émergentes semblent peu enclines à inverser la tendance à libéraliser l’économie, bien au contraire.
Les luttes intestines au sommet sont une constante dans la réalité politique chinoise, mais cette fois elles sont couplées d’une crise d’identité qui n’est pas sans danger, car déjà l’on voit le vide idéologique se peupler d’alternatives dont les prétendants, même apolitiques, font toujours les frais d’une répression brutale, voire les adeptes du Falun Gong. L’aspiration à la démocratie, tuée dans l’œuf, semble être passée au deuxième plan. La génération Tiananmen a été réduite au silence, les revendications se font faites plus modestes. Durant les sessions de l’Assemblée, les victimes des purges antidroitistes de Mao ont réclamé une réhabilitation incluant compensations. Surtout, il a encore été question de la réforme du laojiao, ce système de rééducation par le travail vieux d’un demi-siècle, sujet à l'agenda du jour depuis 2005, mais sans aboutir, faute d’accord entre les juristes et les députés sur la longueur des peines ou leur fonction. Officiellement, ce système est conçu à corriger les individus coupables de délits mineurs, mais dans les faits, il ouvre les portes à tous les abus, et consacre l'arbitraire policier. De nombreux dissidents en ont fait les frais, et continuent d’en faire.
Ce n’est un secret pour personne que la Chine exécute davantage de condamnés que tous les autres pays réunis. Cependant, le besoin de marquer des points sur le tableau des droits de l'homme est pressant. En particulier, la Chine est soucieuse de son image de marque en vue de la tenue des jeux Olympiques de 2008. Mais comment concilier les termes contradictoires de l'article premier de la Constitution définissant la nature du régime, celles de « dictature démocratique populaire » ? D’une part, l'organisation et le fonctionnement des institutions décrits par la Constitution sont faussés par le rôle dirigeant du parti et son système de nomenklatura, recommandation par le comité du P.C. des candidats aux postes à pourvoir dans l'appareil d'État. Ce qui a trop souvent pour effet de vider la législation de sa substance, incapacitant en particulier le droit civil face aux pouvoirs léonins de la bureaucratie. D’autre part, même si l’on accorde aux leaders actuels le mérite de pratiquer un despotisme éclairé, œuvrant à bon escient pour le rayonnement de la Chine dans le monde, quelle garantie, en effet, que demain n'apportera pas un coup de gouvernail aussi brutal et imprévisible qu'hier ?
Pour l’heure, la libéralisation dans laquelle est engagé le pays fait l’effet d’un bain de jouvence pour les populations urbaines, d’un arrêt de mort pour les paysans menacés d’expulsion, sacrifiés sur l'autel du nouveau capitalisme chinois. Mais il est indéniable que la société accroît ses richesses matérielles et culturelles, renouant avec une réalité connue sous la dynastie des Hans, des Songs ou encore des Tangs, temps où la Chine était une civilisation ouverte et cosmopolite, et où l’on comptait dans sa capitale pas moins de deux mille établissements de commerce étrangers.

 


© Daniel Szmulewicz, 1996 - 2011

 

 

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