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Bamboo Boom

Les nouveaux écolos sont arrivés et cette fois ils ne nous manqueront pas. Leur logique? celle du capitalisme. Leur mission? la bonne vieille planète terre. Leurs alliés? pratiquement tout le monde, depuis Al Gore jusqu'au villageois Balinésiens en passant par David Bowie. Leur leader spirituel? la sérénissime Linda Garland. Leur arme secrète? mais c'est bien sûr, comment ne pas y avoir pensé plus tôt, le bambou!

Ecolos, Ecosystème et Système Economique

Aujourd'hui, on mesure la distance qui nous sépare de ces funestes démonstrations aux abords des centrales nucléaires ou d'autoroutes en construction; on est loin de ces images fortes qui ont impregné l'atmosphère d'une époque: les marches silencieuses, les masques de mort, les corps nus... Les temps ont bel et bien changé. 

Pourtant, un renouveau de la lutte pour l'environnement est en cours, et ses chances de réussite accrues. L'inquiétude croissante pour l'environnement a résulté durant ces dernières années en des alliances spontanés pour le moins surprenantes. Dans l'ombre des médias, et sans doute pour la première fois, industriels de l'occident et exploiteurs agricoles des pays dits défavorisés oeuvrent ensemble pour leur avenir et celui de la planète. 

Alors que traditionnellement, les écolos stressaient l'urgence d'une réorganisation socio-économique incompatible avec les schémas existants, les nouveaux écolos au contraire considèrent le capitalisme comme point de départ. Sans revendication rebelle au paradigme socio-économique de leur temps, ils cherchent simplement à faire intégrer au sein des industries occidentales et du 'tiers monde' des procédés de fabrication qui leurs sont propices. Ces procédés, bien-sûr, sont à 100% conviviaux quant à l'environnement naturel. 

L'exemple le plus frappant de cette nouvelle écologie nous vient de l'EBF, la Environmental Bamboo Foundation. Grande prêcheuse de l'écologie pratique, elle a pu,  après de nombreuses années de recherche scientifique, enseigner aux cultivateurs Balinésiens une technique agricole qui a pour effet de réduire le traitement du bambou - le procédé traditionnel exigeait quelques mois d'attente - à quelques heures. Aujourd'hui, prenant conscience de la mine d'or que représente le bambou, l'Indonésie mise à fond sur sa production. 

Bamboo Freaks

Les nouveaux écolos sont répartis sur le globe entier, reliés entre eux par des systèmes de télécommunication sophistiqués. Ils comprennent et exploitent les médias, et se lancent avec autant de ferveur dans les opérations de marketing que dans les études purement scientifiques. Et pour une fois, ils sont pris au sérieux. 

'La nouvelle approche de ces organisations est incroyable', dit David Packard, chairman de la Hewlett Packard (une des plus grosses sociétés informatiques au monde) au sujet de la 'Nature Conservacy'. 'La NC est capable d'agir parce qu'elle parle le langage du 'bizness', pas celui de la confrontation. Or, elle remporte victoire sur victoire. Et en matière de conservation comme dans le 'bizness', on ne discute pas avec le succès.' 

La 'Rainforest Alliance' de New York par exemple, recense les exploiteurs agricoles qui se montrent responsables et soucieux de l'environnement dans la gestion de leurs affaires, Ensuite, elle leur autorise d'utiliser une appellation officiellement reconnue ( 'Smart Wood'), représentant un atout non négligeable pour le marketing de leurs produits. Déjà, l'industrie du cinéma Hollywoodienne - grande consommatrice de bois - ne  signent des contrats plus qu'avec des entreprises attitrées par la 'Rainforest Alliance'. 

Parmi les organisations écolos nouvelle graine, on compte, mis à part l'EBF situé en Indonésie, entre autres, la CIFOR (Center for International Forestry Research) basé à Bogor (à l'ouest de Java), la IRRI aux Philipipines et l'ICRAF au Kenya. 

Les financeurs? L'USAID (U.S Agency for International Development), la Earth Love Fund (U.K.), l'IFAD (International Fund for Agricultural Development), l'ITTO (International Tropical Timber Organization) du Japon. Les coordinateurs? la Nature Conservacy d'Hawaï, le Smithsonian Institute des Etats Unis... Et puis il y a les trente cinq organisations mondiales dédiées exclusivement à la cause du bambou: des dizaines de milliers de bamboo freaks (la Japan Bamboo Society bat le record d'adhérents avec ses 42 mille membres, la American Bamboo Society n'est pas très loin) qui ensemble forment la bamboo connection. 

La cultivation du bambou procure du travail à des centaines de milliers de femmes en Inde, au Sri Lanka et en Chine. La Thaïlande produit du bambou pour une valeur brute de 10 millions de dollars et dont la valeur marchande s'élève à  30 millions de dollars.  Ce qu'espèrent les nouveaux écolos, c'est de voir les occidentaux acheter de plus en plus de produits à base de bambou - matériaux de construction, revêtements pour sols, meubles, vanneries, papier, médicaments, aliments... Le succès commercial du bambou aura pour effet une amélioration des conditions socio-économiques des pays producteurs. Aussi, un marché de luxe devrait voir le jour, proposant  une marchandise conçue par des artistes, des architectes et des designers, rehaussant du même coup l'image de marque du bambou, jusqu'ici fort dépréciée. 

En clair, si le plan fonctionne comme prévu, tout le monde y trouvera son compte. L'écosystème en premier, car le bambou protège l'environnement. Il réaménage les terres abîmées, régule les microclimats, agit contre l'érosion des couches terrestres, purifie oxygène et eau. Et enfin, parce qu'il se substitue au bois, le bambou est susceptible de mettre fin au déboisement effréné des forêts tropicales. Vrai remède miracle, le bambou n'attend plus qu'à être adopté par une humanité en péril, fût-il seulement pour assurer son salut terrien. 

Bamboo Queen

Pour les initiés du bambou, un nom résonne plus fort que les autres, celui de Linda Garland.  Au départ architecte d'intérieur et 'product designer', Linda Garland est devenu, petit à petit, la reine incontestée du bambou. D'origine Irlandaise, elle élit domicile en Indonésie au cours d'un voyage - pays dont elle tombe instantanément amoureuse - et découvre, grâce à sa profession, les caractéristiques étonnantes de la plante magique. 

Elle conçoit sa première collection de meubles en 1977. Ses travaux impressionnent. La renommée de Linda accroît mondialement, surtout au sein de la jet set. David Bowie lui fait bâtir sa maison dans les Caraïbes, Mick Jagger vient se ressourcer dans son domaine somptueux à Ubud. Cependant, c'est en 1991 que débute véritablement sa carrière d'environnementaliste, carrière qui aboutira à son statut de véritable visionnaire du bambou. A cette date en effet, au cours d'une espèce de prise de conscience aigüe du désatre écologique imminent, et plus particulièrement pour contrer l'épuisement des ressources forestières dans les zones tropicales. Linda s'engage personnellement, corps et âme, pour la cause du bambou. 

Au  National Museum de Londres, Linda découvre que plusieurs  organisations internationales ont conduit des recherches approfondies, mais  parallèlles,  dans 12 pays d'Asie. Elle réalise qu'il faut coordiner ces efforts. Que pour mener à bien le projet, le réseau de l'écologie nouvelle doit continuer de s'étendre sur le globe, continuer de répandre ses noeuds dans des zones d'impact locales. 

Suivant cette logique, elle inaugure un centre de recherche dans son domaine, visant conjointement le développement de prototypes pour des produits commerciaux et la poursuite des études scientifiques menées jusqu'ici. Grâce aux fonds récoltés auprès d'organisations d'aide internationale, elle crée une équipe hautement qualifiée, qui s'occupera de recenser, d'analyser et de redistribuer l'information concernant les différentes espèces de bambou et leur potentiel commercial ou industriel. 

Durant sa quête du bambou, elle traverse les indes, les Philippines, le Japon et la Chine, essayant de déterminer les espèces commercialement viables, ramassant de l'information précieuse quant aux cycles de récolte, techniques de cultivation, traitement, etc... 

Des nouvelles manières de fabrication de papier à base de bambou sont découvertes, ainsi que l'utilisation du bambou comme armature de béton. 'En Colombie', explique Linda Garland, 'deux maisons du 18ème siècle utilisant le bambou comme renforcement des fondations ont survécu à plusieurs tremblements de terre, à deux siècles de pluie tropicale et à de nombreuses autres péripéties. Le bambou est un des seuls éléments naturels - avec les cafards - à résister à un explosion nucléaire.' 

Linda Garland agit en catalysateur d'énergies, elle écrit à toutes les organisations susceptibles de l'aider ou de recevoir son aide. Elle obtient le soutien d'Emil Salim, ex-ministre Indonésien de l'environnement, homme extrêmement influent puisque membre du conseil d'arbitrage international de l'ONU - véritable table ronde des chevaliers de la protection pour l'environnement (Jacques Cousteau y représente la France). 

Les médias commencent à s'interresser à son projet. Le International Wildlife magazine, avec son lectorat d'un demi-million de sympathisants à la cause écologique, publie un article de 4000 mots sur le bambou. Linda Garland écrit un article retentissant dans le très select 'Architectural Digest'. Le hype autour du bambou est créé. 

En avril, le 4ème congrès mondial pour le bambou aura lieu à Bali, sous l'égide de l'EBF de Linda. Médiatisé, puisque CNN a confirmé la couverture par sattellite de l'événement, ce congrès sera bien plus qu'une réunion au sommet des spécialistes du bambou. A Bali, on se prépare déjà à exposer les facultés exceptionnelles du bambou: il y aura de la musique, des mêts, de l'artisanat, bref, un spectacle intégral en l'honneur du bambou. Pour cette même occasion, le vice-président des Etats-Unis,  Al Gore, recevra 150 éminents chercheurs de l'INBAR (International Network of Bamboo and Rattan) lors d'une session spéciale au congrès américain. 

Bambou boom

Rêvez-vous d'espaces verts et de maisonnées élegantes? de larges cités qui respirent l'amour et le bonheur? De ciel bleu et de nuages blanc? de forets touffues, brumeuses le matin, faisant retentir des cris d'oiseaux le soir tombant? Voyez-vous des vallons courir aux confins de  l'horizon? un horizon sphérique, en oeil de poisson, car la terre est ronde et vos yeux humains?  Arrêt sur image. Descente du nuage. Retour aux réalités: les villes sont encrassés, les gens ne sont pas heureux, le monde frôle la catastrophe. 

Parlez du monde comme si vous étiez son créateur et je vous dirai qui vous êtes. Longtemps, les écolos ont du faire face à ce paradoxe. Mais les nouvelles manières de 'faire l'écologie' ne s'attardent pas sur le discours. Dans la présente atmosphère de fin-de-siècle, difficile de ne pas ricaner à l'évocation d'un monde chantant et en équilibre. Cela, les nouveaux écolos le savent mieux que quiconque. 


© Daniel Szmulewicz, 1996 - 2011

 

 

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